Le retour de la montagne

Il se retourna et fut prit de vertige face à l'étendue blanche qui se trouvait sous ses pieds.

Les animaux les avaient distancés, et il estima, complètement dépité, qu'ils ne les retrouveraient jamais plus.

Ses compagnons étaient encore en arrière, et lourdement armés. Il les avait prévenu que là où ils iraient, ce n'était pas ce genre d'équipement qui était nécessaire, mais ils n'avaient pas tenu compte de ses conseils.

Il fit un petit feu entre quelques roches entourées de neige, et le temps qu'ils arrivent, la chaleur avait déjà délimité un cercle de quelques pieds autour du foyer, détruisant irrémédiablement le froid et la glace.

Celui qui semblait être le chef jaugea la place choisie par le forestier : dos à la montagne, avec le gouffre devant eux, c'était l'unique passage pour continuer sur cette route, et il ne se sentait pas à l'aise de savoir que des maraudeurs pouvaient passer par là.

La paroi de verre

Blottis l'un contre l'autre, nous regagnons un espace neutre et douillet. Loin des parois de verre qui nous séparent habituellement, nous nous retrouvons dans une clairière paisible, l'esprit serein. Les arbres nous entourent sans faire d'ombre, les cimes des pins semblent à la fois lointaines et étonnamment en-dessous de nous, comme si cet espace préservé nous avait élevés dans des sphères supérieures.

Cette région qui est apparue hors du temps nous appartient, un moment unique dans nos vies, et nous continuons sur le chemin qui s'ouvre vers le nord, bordé de fougères et de ronces.

La pluie se met à tomber, et en me prenant la main tu me confies que tu as froid, et que ce temps glacial te fera bientôt lâcher notre étreinte.

Le phénix

J'étais enfin revenu par ce petit chemin passant près du château d'eau, et le paysage m'évoquait toujours ces rêves lointains qu'on ne peut jamais bien saisir. Mais à côté de ça, la même impression de familiarité me saisissait encore comme si j'avais toujours vécu en ce lieu. Pourtant, je savais avec certitude que si je m'établissais un jour en cet endroit, je perdrais à coup sûr cette impression au fil du temps et des années, progressivement, comme une maladie qui gagne.

Hormis les rêves, c'était également le lieu propice au classement des souvenirs, le point central des schémas mentaux qui m'avaient construits et déconstruits au fil du temps et des années.

J'étais venu plein de frustration, mais aussi plein d'espoir.

Je regardais de loin ces sentiments qui m'avaient consumé, et j'avais l'impression de renaître de ces cendres, à la fois impliqué et détaché, et c'est le cœur léger que j'ai repris ma route.

Traces d'effraction

Audric n'avait pas apporté sa guitare avec lui, mais il en trouva une, pas trop désaccordée, dans le salon rond au premier étage. Les filles l'avaient suivi et semblaient toutes excitées à la perspective de l'entendre jouer. Allait-il également chanter pour elles ?

Au dehors, dans la nuit, la neige était remarquable : une blanche étendue, qui tendrait vers l'infini s'il n'y avait pas les arbres autour pour la limiter. Les jambes d'une des filles, même si elles ne tendaient pas vers l'infini, étaient étendues, blanches et déstabilisantes, sur la couverture en patchwork d'un des sofas.

Le troubadour improvisé avait déjà entamé sa chanson, lorsque Anne remarqua les traces d'effraction sur les volets, rattachés à la fenêtre du balcon. Elle redescendit, avec un pressentiment qui lui nouait l'estomac. Au rez-de-chaussée, c'était pareil, des marques suspectes sur les huisseries, une impression d'abandon et de désolation. La porte de la chaufferie bougeait un peu, comme si quelqu'un se dissimulait là, à l'affut.

Au dehors, un arbre prenait feu, et la chaleur dégagée par ce dernier commençait à faire un cercle noir dans la neige.

Mélodie

Les notes, lentes, se perdent une à une dans ma tête, tandis que la mélodie s'amplifie dans l'air, endormant les étoiles alentours, qui s'éteignent les unes après les autres.

Lorsque cette musique sera terminée, c'est mon âme qui rejouera ces partitions dans le temps qu'il me reste à vivre, hanté par cette mélodie d'un autre âge et ces principes de vie qu'il ne nous est plus permis de respecter.

Puis après que ma vie sera arrivée à sa conclusion, ces notes réaffleureront comme des fleurs au printemps, à l'image de ces plantes qui poussent sur le terreau fertile d'un cadavre déjà oublié, et non plus jamais regretté.

Les cheveux argent et les yeux d'or


J'ai croisé ce matin la plus belle des femmes,
avec ses beaux cheveux argent, et ses yeux d'or,
nous nous sommes regardés, du plus profond de l'âme,
sa voix sans aucun mot murmurait des trésors.

Ses mains étaient glaciales, sa poitrine brûlante,
son soupir comme la morsure d'un alcool fort :
une poignée de neige dans la nuit vacillante,
que je jette hors du temps, et par-dessus bord.

Elle ne me regardait plus guère en fin de compte,
nuit après nuit, ses yeux redevinrent outremer,
mon désir enfin se départit de la honte,
Pourquoi conservions-nous ce sentiment amer ?

Et me délaissant pour une nouvelle victime,
elle poursuivit son chemin dans cet air transi,
cherchant un flâneur pour cette relation ultime,
nourrissant mieux que n'importe quelle ambroisie.

Les regrets d'un feu salvateur

Avant de goûter à la quiétude du crépuscule, j'ai regardé le soleil jusqu'à m'en brûler les yeux, il offrait la promesse d'un bonheur à jamais inaccessible et les regrets d'un feu salvateur.

La rivière fut plus douce, traversée par un pont où deux amoureux se chuchotaient leurs vœux et peut-être aussi leurs désillusions. Nul bleu du ciel ne se reflétait dans l'onde troublée, pas plus que la couleur du soleil : les nuages faisaient barrages.

Les ponts se construisent, se détruisent sous la lumière grise. Et les liens se tissent puis se dénouent au-dessus des pierres humides.

Dans la plaine embrumée, un arbre se tient seul, frappé par la foudre au milieu d'un cercle de fées.

D'un point à l'autre

Nous partions rejoindre ce café dans le centre du village. Mais sur le chemin, un éclat attira notre attention : Jean-Baptiste descendit la butte pour le rejoindre, et cacha un objet bleuté dans sa poche, refusant de nous révéler ce qu'il avait trouvé. Indécis, nous continuâmes notre route, oubliant rapidement cet événement.

Je repartis quelques heures plus tard par une nuit noire, titubant un peu, et longeant le ruisseau pour rentrer chez moi. La nuit était noire, mais les rues un peu éclairée, suffisamment pour donner une atmosphère irréelle et réconfortante. Au niveau du pont, je me suis rapproché de la maison de celle que tous nommaient « la vieille sorcière ». Peut-être enhardi par les effluves de bière, je frappais à sa porte, ce qui n'était pas dans mes habitudes, même si je la connaissais un peu. En m'ouvrant la porte, elle paraissait bougonne, me reprochant rapidement la disparition de quelques écailles de glace sur un arbre, dont elle s'était arrogé le droit de prélèvement pour réaliser des décorations.

Nous repartons ensemble vers le café, sur ses ordres, et en chemin nous arrivons devant un appartement qu'elle possède et qui pointe vers le centre-ville. Je refuse d'y monter, prétextant la vétusté de cet ensemble de maisons, qui plus est loin des beaux quartiers.

Je me remémore alors certains immeubles du centre, adorné de sculptures anciennes ainsi que de décorations scintillantes faites d'écailles de glace.

Les grandes marées

Elle revint du bord de mer, sa pêche infructueuse. Arrivée chez elle, Claudine retira son ciré, ses bottes, et dénoua ses cheveux, colorés d'un or trop rare, les laissant se dérouler comme un serpent roux glissant vers sa proie.

Les images qui imprégnaient encore son esprit ne lui convenaient pas, elle aurait préféré pouvoir les remplacer par d'autres, mais c'était impossible. Les sons qui résonnaient dans son salon avaient des relents des heures passées dehors, et ça aussi, elle aurait préféré l'oublier. Tous ses sens étaient en éveil, son corps était douloureux, ses cheveux avaient une légère odeur de vase. Plus rien ne saurait l'atteindre ou l'émouvoir dorénavant.

Elle trouva tout de même la force de se préparer un café, qu'elle savoura en restant à moitié adossée sur le bord de sa table de cuisine. Ses habits enfin sur le sol, elle passa un peignoir de bain avant d'aller prendre une douche. Le ciel était empli de bruine, et une nouvelle pluie était imminente, ce qui laverait les voiles de son bateau.

Les grandes marées lui avaient tout pris cette fois-ci, mais elle ne trouva pas de raison valable pour émettre le moindre regret. L'image de l'arbre qui sortait soudainement des eaux, emplissant le ciel de ses branches comme s'il voulait l'embrasser éternellement, resterait son meilleur souvenir de cette époque.

Dans les ondes déboussolées


Dans les ondes déboussolées
se terrent les vents d'est
Et ce territoire désolé
ignore les brumes du nord.

Dans les eaux limpides et glaciales
se ressourcent les fées
Et nulle part ailleurs ne m'entraînent
ceux qui rêvent éveillés.

Dans cette nuit noire et sans lune
qui voudra de nos ambitions ?
Tandis que se regardent les traîtres
un sourire mourant à leurs lèvres.