En tirant sa révérence sous une pluie d'applaudissements, le saltimbanque ne put s'empêcher de réprimer un sourire de satisfaction : en effet, toute sa jeunesse avait été marquée par les médisances de son entourage et les faux conseils de ses proches. Après des moments angoissants d'hésitation, il commençait seulement à faire reconnaître son art.
Il avait jadis connu une fille, ses parents l'avaient immédiatement traitée de sauvageonne, qui l'avait entraîné dans la rigoureuse ascèse de la jonglerie. Laissant là ses études de chirurgie, il avait préféré opérer l'âme de ses contemporains : lorsqu'elle et lui débutaient leur tour, escamontant des cartes et faisant apparaîtres des boules colorées sous les chapeaux des spectateurs, ils les préparaient à l'imprévisible prestige qui allaient en découler : l'émergence soudaine de boules d'argiles enflammées, avec lesquelles ils jonglaient durant de longues minutes, dans le silence du souffle coupé de l'assistance.
Et puis elle était partie, libre comme l'air, incapable de supporter la responsabilité d'une relation ou d'une quelconque contrainte. Il avait alors continué son chemin, seul, développant des tours originaux ou de nouvelles acrobaties, le cœur lourd et triste, motivé au début uniquement par le vide qu'elle lui avait laissé...
