Blog / Feuilleton #0009

Quand Richard entendit Hélène l'appeler tout haut, à la porte de sa chambre, il était en train de rédiger quelques notes. Il leva la tête en soupirant. Il n'aimait pas se retrouver en présence de Jules et de son épouse en même temps, sans doute par peur de commettre un impair.

Jules était vieux. Non pas qu'il était spécialement sénile, à cinquante-six ans on est généralement encore bien conservé de nos jours, mais son corps était quant à lui très malade. Malade de ses excès, malade de ses angoisses, malade de ses passions. Sa dernière passion avait été pour Hélène, qu'il avait épousé en seconde noce après un court veuvage. À l'époque, huit ans en arrière, Jules était encore jeune, toutes proportions gardées. Il avait rencontré Hélène à la gare de Nabaquo, et l'avait abordée avec un baratin absolument banal. Mais quand il s'adressait à quelqu'un, il le faisait avec tellement de présence et de charisme, qu'il était difficile de ne pas tomber sous le charme.

Elle s'occupait alors d'une bureau de traductions comptant quatre employés, ayant elle-même une patente de traductrice d'allemand. Jules était ce qu'on pourrait appeler un rentier, ayant quelques actifs notamment dans le domaine industriel, mais il consacrait ses journées à rédiger des articles pour un journal régional assez peu connu, dont nous avons déjà oublié le nom. Il se déplaçait souvent pour trouver de la matière à ses chroniques et reportages. Sans doute un moyen pour lui de valider ses aspirations intellectuelles, voire artistiques.

Après les débuts de la maladie, Jules ne voulut plus voyager comme auparavant, et il dut rapidement freiner ses humeurs éditoriales. Le patron du journal, par égard pour son œuvre passée, lui permis encore de chroniquer quelques événements mineurs, ainsi Jules put continuer à mener un semblant de vie sociale, bien qu'il demeurait de plus en plus reclus dans son univers et bientôt ses délires paranoïaques.

Lorsque Richard s'arrêta au seuil de leur chambre, il vit Hélène et le patriarche en train de discuter.

« Hé bien, lui dit Jules, ne reste pas planté bêtement devant cette porte, entre donc, mon fils ! »