Les tonalités douces
Certains portent dans leurs rêves les tonalités douces de l'été, pour ma part, même en plein hiver je continue à rêver de l'hiver : alors je m'éveille, — ou du moins je crois m'éveiller — dos à une falaise qui ruisselle de pluie, dans une nuit qui fait rapidement place à un espace empli de brumes. Nos ennemis, qui ont cessé de s'en prendre à nos frontières depuis qu'ils ont trouvé comment nous nuire de l'intérieur, se massent en haut de ces falaises, et dirigent leurs attaques depuis cet endroit. Mais malgré cet emplacement stratégique, ils restent fidèles à leur nature intrinsèque et ne sont pas capables de nous affecter sur le long terme.
J'exhorte ma troupe à se serrer contre le granit gris, pour échapper malgré tout à leurs derniers assauts, les plus désespérés.
Mais qui peut se targuer d'éviter la pluie quand elle n'a de cesse de tomber sur nous ?
Qui pourra sortir indemne et intègre d'un combat aussi déloyal ?
Escrime
Les bretteurs se toisent, tandis que sur la plage l'eau salée vient les déséquilibrer : les pieds dans des sables mouvants, il est proprement impossible de garder un semblant d'équilibre. Malgré ces difficultés, rendant l'issue par trop aléatoire, leur concentration est extrême, et complètement sincère.
Leur combat n'aura pas duré : sitôt le premier coup porté, le premier sang versé, les arbitres arrêtent tout. Ce duel n'en était pas vraiment un, et Rodéric rangea son arme en pestant contre la mollesse de son époque. Il ne prit pas le temps de saluer le vaincu, ni les juges, et sortit de la petite mare en arrachant rageusement sa paire de bottes par les boucles et son sac par sa lanière. Il resta ainsi pieds nus, monta son cheval en croupe, et personne n'osa lui faire la moindre réflexion, ni avant, ni après qu'il fût parti.
D'autres concurrents se mirent en place pour la suite des épreuves.
Repas au village
Un rire ? C'était ça. Le premier magasin lui avait laissé une telle mauvaise impression, avec sa triste devanture, ses couleurs non coordonnées, que le suivant en comparaison paraissait bien plus accueillant. Et pourtant au moment où elle entendit ce rire en entrant dans la seconde boutique, quelque chose se brisa dans l'atmosphère. Elle ressentit de nouveau le déséquilibre, le vide à cause de cette sonorité malsaine.
Elle précipita ses compagnons à l'étage, où se trouvait contre toute attente un espace pour manger quelque chose, presque un restaurant. Là il n'y avait plus ce rire, plus ces cochonneries pour touristes, ne restait que la vue imprenable sur la plus pittoresque des prairies. Ils discutèrent joyeusement du paysage, et cela égaya leur journée, magnifiant même ce petit village si artificiel qu'ils venaient de traverser à toute allure. On leur apporta les plats, une sorte de pot-au-feu rustique accompagné de riz et de pommes de terre au four, et la conversation dévia sur la nourriture, et sur ce si étrange restaurant, perdu au milieu des sapins.
Lorsqu'ils quittèrent le magasin, il n'y eu plus de rires, les derniers clients étant repartis chez eux depuis longtemps, pour le déjeuner.
Ils passèrent le restant de l'après-midi dans le salon chez Helga, qui était l'amie de ce guitariste un peu bizarre de l'unique groupe de heavy metal de la région. Assis sur le canapé un peu élimé, avec ses motifs ottomans décolorés par le soleil, ils regardèrent les dernières partitions pour cordes que venait d'acquérir Helga. Ce qui les frappa surtout, ce fût les publicités colorées qui parsemaient les pages de ces livrets écornés. Elle leur expliqua de sa voix calme qu'elle les avait rapportés d'Allemagne la semaine d'avant.
La boîte bleue
Il n'y avait plus de thé dans la boîte bleue, celle décorée avec les motifs bretons.
Aussi elle la reposa dans l'armoire, referma les portes en formica vert et s'adossa un court instant, le temps de reprendre son souffle. Sa chemise en soie glissait sur son épaule, mais pour une fois elle ne prit pas le temps de la remettre correctement. Il allait se réveiller, et elle voulait à tout prix être de retour avant ce moment. Elle fit tomber le reste de ses habits sur le sol de la cuisine, et entra entièrement nue dans la salle de bain.
La lumière de la lune hantait encore Catherine. Par sa présence silencieuse, l'astre avait été le témoin de leurs ébats toute la nuit passée, à travers la fenêtre ouverte, et les avait aussitôt recouvert de sa lumière froide, comme une triste bénédiction.
Le bricoleur municipal
Alors que sa mère ne savait plus quoi faire de cette boule d'énergie, qui devenait de plus en plus amer depuis le décès de son père alors qu'il n'avait que 11 ans, elle l'inscrivit à l'âge de 15 ans chez les compagnons du tour d'Europe, une institution proche du scoutisme, pour apprendre le métier de menuisier-ébéniste.
La discipline quasi-militaire n'était pas pour plaire au jeune adolescent, mais l'amour du bois et du travail bien fait le motiva à persévérer dans cette voie. Parallèlement à cela, il pratiqua pendant 6 ans divers arts martiaux, en particulier l'aïkido, ce qui lui donna une aisance aux armes blanches, en particulier le sabre et le bâton. Il termina de façon abrupte cette formation, en claquant la porte et quittant l'institution plusieurs fois centenaire avec pertes et fracas, pour pouvoir s'adonner à son Budo et à sa nouvelle passion naissante : l'électronique et la mécanique, bref, la fabrication et le bidouillage des systèmes tournant à l'électricité.
Sans emploi, sans diplôme, mais avec de l'or dans les mains, il décida de monter une entreprise à son compte. C'était sans compter sur la guerre naissante.
Il dû tout abandonner, y compris sa famille : sa mère fut tuée par un zélateur du Mouvement Citoyen, et il se fâcha avec son frère jumeau, un métreur travaillant pour une des plus grosses corporation, passé depuis au Mouvement Citoyen.
Il fût lui-même enrôlé de force comme « bricoleur municipal » pour une grande ville rebelle, qui s'est battue 4 ans durant contre les Déchus, avant d'être libérée par l'Ordre. Mais cet équilibre précaire ne dura pas, et il fut contraint de quitter une cité à feu et à sang avant que la situation de dégénère encore plus.
Son objectif ? La Cité-Dôme. Là ou ailleurs...
Un magicien aviné
Dans une vieille auberge de la ville de Vranglo-Birga est attablé un magicien aviné.
Il tire un manuscrit de son long manteau et en lit les premières lignes :
« Frères sorciers, enchanteurs, rebouteux, prêtres...
Vos désillusions passées ne sont plus que de lointains souvenirs. Le présent nous anime et son souffle est porté par la quintessence de nos vies. Remémorez-vous nos années d'errance, nos interrogations légitimes, nos tâtonnements.
Ce temps est définitivement révolu : place à l'avènement de nos idées et de nos valeurs, les persécutions à notre encontre n'ont que trop durées ! ... »
Il lit et relit ce document, jusque dans les moindres détails de ses cinq pages écrites d'une écriture serrée et fébrile.
Quelques heures plus tard, de retour dans son manoir bordé de pins parasol et situé sur les rives du Jeleral, il relira de nouveau ce manifeste, et y ajoutera quelques précisions ainsi qu'une conclusion.
Enfin il le signera, pendant que son pigeon voyageur s'agite dans sa cage.
Son journal et du pain
C'était l'ouverture du bureau de tabac, tôt le matin. Jean-Loup venait ici chaque jour pour y acheter son journal et du pain, avant de partir au travail. Ça arrivait parfois qu'il lise une partie de ce journal une fois arrivé au bureau, et il arrivait systématiquement qu'il mange au moins le quignon pendant le trajet.
Mais ce matin-là cette routine vieille d'environ une décennie fut brisée d'une façon absolument inattendue.
Jean-Loup avait environ 45 ans à ce moment. Plutôt grand, bien mis, il habitait dans une grande ville, que nous ne jugeons pas utile de nommer ici. Il avait quelques cheveux gris, mais ne regrettait pas vraiment sa jeunesse. Son enthousiasme d'alors était devenu une sombre nostalgie, une mélancolie douce et désespérée : il n'attendait plus vraiment rien de la vie. Son travail s'était révélé répétitif, médiocre, sans la saveur qu'il s'était imaginée alors qu'il avait encore 20 ans.
En traversant la rue pour rejoindre la boutique, son épaule entra en collision avec celle d'une jeune fille un peu plus petite que lui, le corps souple et bien équilibré, des yeux évoquant ceux d'un chat, une poitrine à faire damner un saint et une chevelure qui sentait la rose fraîche...
Il la reconnut instantanément :
« Marie, est-ce bien toi ? »
La jeune femme devait avoir une vingtaine d'année, et avait la même apparence et la même aura que quand ils s'étaient quittés.
Le cours de sa vie allait peut-être pouvoir reprendre.
L'inversion de toutes les valeurs
Et au vingtième jour de la saison des pluies de feu, toute raison quitta les hommes, et ils commencèrent à adorer de nouvelles idoles qui rapidement se révélèrent être de parfaits bourreaux.
C'est à ce moment que toutes les valeurs s'inversèrent : les enfants arrêtèrent de respecter leurs pères et leurs mères, les hommes s'unirent entre eux tandis que les femmes firent de même de leur côté. Et ils furent légions.
La vérité fut honnie, et le mensonge fut proclamé vérité.
L'étranger fut accueilli avec les honneurs dignes d'un prince, et il piétina cet honneur. Les rois trahirent leurs peuples, et foulèrent eux aussi du pied tout honneur. Les rois, vils et apatrides, ouvrirent les portes du pays aux envahisseurs, agressifs et barbares, et se firent les entremetteurs des viols commis sur les enfants de la cité. Les autres passèrent avant les nôtres. Et ils furent légions.
La vérité fut honnie, et le mensonge fut proclamé vérité.
Ce qui était beau fut proclamé laid, ce qui était noble fut interdit. Ce qui était laid fut proclamé beau, ce qui était interdit fut anobli.
Et ce jour fut l'inversion de toutes les valeurs.
d'après le Livre de Arnjh-Gah 14:12
Ceci est une oeuvre de fiction. Toute ressemblance avec des événements réels ne serait que pur hasard ou coïncidence fortuite.
Et le vin coula à flot
Le vin coula à flot ce soir là. On avait pris rendez-vous dans cette petite auberge sur les rives de l'Auroy, et le ton était vite monté, les rires, les éclats de voix.
Je ressortis sous la pluie battante, dans l'air saturé d'humidité, et je me sentais bien à ce moment, malgré une petite aigreur et une lourdeur due à la nourriture et aux boissons consommées.
Le soleil commençait à ce coucher, et donnait une dimension magique à toute l'atmosphère qui semblait purifiée à l'extrême.