Blog / Comme des âmes vacillantes sur fond d'azur noir

Elle ressortit de la galerie couverte, ouvrant machinalement son ombrelle en arrivant à l'air libre : parce que le temps était assez couvert et qu'il allait bientôt faire nuit, il était clair que ce geste signifiait qu'elle pensait à autre chose, et qu'elle n'était plus vraiment maître de ses actions et sentiments. Dans ce genre d'occasion, je me prenais secrètement à espérer que j'étais la cause de ce trouble, sans trop réellement y croire.

Ce soir-là, la laissant repartir de son côté, et mes illusions de l'autre, je retournai d'un pas tranquille vers le musée, refaisant le même chemin qu'à l'aller, dans les rues pavées de marbre gris et violet. La roche reflétait maintenant les langues de feu des lampes à pétrole, qui venaient de s'allumer au niveau du faîtage des verrières couvrant la galerie, comme des âmes vacillantes sur fond d'azur noir.

Ce musée appartenait à la société qui m'employait, une grande entreprise d'automobiles qui avait décidé de faire œuvre de mécénat dans diverses causes artistiques et culturelles, et utilisait ces grands bâtiments pour cette activité. Je voulu prendre un billet, et on s'empressa de me préciser que cela n'était pas nécessaire, que la journée allait bientôt se terminer.

La nuit recouvrait à ce moment toutes les rues, qu'elles soient comme les quelques rares à l'extérieur, ou comme la majorité sous la galerie. La chaleur douce de l'éclairage donnait une dimension surréelle à cette soirée. Une fois entré dans le musée, je n'eus plus que le dôme richement sculpté au dessus de ma tête, ce qui était toujours un étourdissement.


Je pensais que le musée serait désert à cette heure avancée. Il n'en était rien. Au début je ne vis personne. Sortant mon appareil photographique, je profitai de la lumière artificielle pour prendre de beaux clichés du dôme et de ses mille ornementations, ainsi que des murs et de leurs moulures en plâtre doré. En escaladant une sorte de grande vitrine en verre au centre de la salle principale, j'avais une vue imprenable sur l'enfilade de colonnes des couloirs ouest et est. Je commençais à prendre quelques nouvelles photos, mais le vertige me saisit et je dus descendre rapidement de cette esplanade de verre, sous peine de perdre la raison ou l'équilibre.

Une rapide vérification sur l'écran de mon appareil me confirma que plus de la moitié de mes clichés étaient un ratage total. J'hésitai vraiment à remonter sur la vitrine, de peur de briser quelque chose, de tomber, de sombrer dans un déséquilibre que je ne saurais gérer. En tout état de cause, ce n'était de toute façon plus possible : j'entendis du bruit dans les couloirs, et je commençai à voir arriver quelques personnes descendant les escaliers. Surtout des hommes, en costumes de ville, bien mis, et quelques femmes dans leurs robes bouffantes. Ils ne semblaient pas venir des ruelles, et devaient être enfermés dans le musée tout comme moi, pour une balade nocturne des plus incongrues.

Des sifflets de police retentirent, et ils dispersèrent de jeunes délinquants qui s'étaient glissés dans la foule, et dont la tenue et les bleus de travail détonnaient dans ce monde raffiné. J'essayai en vain d'en attraper, et ce faisant au bout de quelques minutes je me retrouvai aux bordures de la ville. Quelle folie d'être parti ainsi, que pouvais-je faire en fin de compte ? Je pris un portique en bois et sortis totalement de l'agglomération. J'entrai dans une sorte de manège qui me propulsa comme une fusée dans la campagne. J'eus alors de nouveau le vertige, les rues dans la forêt et leurs lumières éblouissantes me fatiguèrent rapidement, j'eus l'impression de me perdre de plus en plus dans ces embranchements similaires, et éreinté par ma journée, j'eus grand peur de finalement rentrer trop tard. Je vis d'ailleurs les affres du matin, et malgré mon effroi d'avoir perdu ma nuit, je me sentis presque rassuré de découvrir le jour.

En retournant vers les faubourgs, je tombe sur une petite taverne, où je bois un café. Au loin se distinguent des tours d'immeubles, se détachant sur le vert un peu gris de la campagne matinale. Des gens attendent leurs bus pour les ramener vers la ville.